vendredi 10 août 2012

Le jugement.


Les cheminées crachaient sans vergogne leur mêlasse noirâtre dans le ciel bleu-jadis. Qu'est-ce que je faisais ici ? Je m'y étais réveillé, et il me semble que ce monde où je marchais en respirant à travers mon t-shirt remonté sur mon nez n'était plus tout à fait le même, le mien. Était-ce bien possible de s'endormir au bord d'un lac, la nuit des étoiles filantes, et de se réveiller dans le monde où j'étais ? Cela était impossible, mais la sensation de réelle me prenait à la gorge à l'instar du monoxyde de carbone dont l'air n'était que trop chargé.

Ce n'est qu'au bout d'un temps -une éternité- à marche sous l'égide magistrale des grandes usines que j'arrivais au moulin. Le fameux moulin. Il n'y avait dedans qu'un cadavre de vieille, au rez-de-chaussée, ainsi qu'un vieux coffre rouillé impossible à ouvrir et, à l'étage, parmi les mécanismes inanimés de la meule, un cadavre de chouette. Immaculé. J'y passais beaucoup de temps. Je ne peu dire des jours, car après tout, la nuit n'est encore jamais venue ici. Il me semble bien que j'ai marché dix ans, dont un fois trois ans à marcher tout droit dans la direction d'un nuage particulier, mais ce n'est jamais que des usines aux formes, tailles, et à l'éloignement similaire sous lesquelles je marche. Et puis au bout d'un temps, parfois très long (parfois trois ans, oui), je décide de retourner au moulin et, là, en un rien de temps, je le vois se dresser à l'horizon et se rapprocher à grand pas. Comme si pendant un temps long, très long, parfois trois ans, j'avais marché sur un tapis roulant gigantesque, sans ombre, verdoyant, chargé de monoxyde de carbone. Mais je ne ressent aucune fatigue, aucune lassitude, c'est l'ataraxie complète. Il n'y a pas d'ombre, ici, vous savez ? Tout est comme dans un jeu vidéo aux textures estompées, un peu comme les nouveaux dessins animés d'animation qui passait sur les chaînes tout public, le matin, dans le monde d'autrefois.

Car, oui, je peu parler d'autrefois. 


Votre monde a vous est mort, je crois, depuis longtemps, car cela pourrait bien faire des siècles que je suis ici, des millénaires, et plus encore. Il n'y a pas de Soleil de Damoclès pour me rappeler que le temps passe, m'est compté, et que rien n'est éternel, non, il fait toujours "jour" -j'emploie ce mot car on y voit comme au jour de votre Terre- mais il n'y a pas de boule de feu géante pour m'éclairer ; le ciel bleu-jadis est comme un très haut faux-plafond de plâtre fin, tout derrière lequel de puissants néons transpirent leur lumière uniforme. Ce n'est pas pour autant morne ou blafard, ici, non, car l'air pollué créé parfois des volutes sombres et a de toute façon tiré un manteau de gaz entre le ciel-faux-plafond-bleu-jadis et moi, un manteau de gaz qui contraste tout, comme un filtre. Il faut bien comprend, qu'ici, il peu y avoir du contraste sans ombres. L'herbe verdoyante ondule sous le gaz et se teinte d'apparats plus sombre, ici et là. C'est merveilleux. Les usines blanches, immaculées comme le cadavre de la chouette, à l'étage du moulin, dissimulé parmi les grands mécanismes de la meule qui ne tournent plus, sont autant de tâches sur un Jackson Pollock, car il n'y a que cela, des usines, et il y en a des milliards. Pour peu que le faux-plafond soit transparent pour de bon, ou que, véritablement, il soit extrêmement haut (mais j'en doute, si c'était le cas, les néons derrière devraient être vraiment très puissants), on pourrait du "ciel" voir le fond vert contrasté sous le gaz constellé de tâches magistrales immaculées comme des cadavres de chouettes emprisonnés dans les mécanismes inanimés de la meule du moulin abandonné.


Je crois que je commence à ressentir quelque chose.

Ce n'est pas un sentiment terrestre, je n'en ressent plus depuis jadis, j'ai même cessé totalement de conversé avec le cadavre de la vieille comme j'en avais l'habitude les quatre cent premières années, non, maintenant, je suis autre chose qu'un être humain. J'ai compris trop de chose pour être considéré comme tel, j'ai trop réfléchis et je n'ai plus vécu depuis trop longtemps, car ce n'est pas vivre que de marcher mille ans au travers du paysage gazé, constellé d'usines, puis de rentrer en un rien de temps au moulin abandonné, non, ce n'est pas vivre. Mais je ressent autre chose, c'est un sentiment comme les usines, magistral, un sentiment qui pousse en moi et transperce le bout de mes doigts tellement il est à l'étroit en ce corps suranné, qui m'explose d'en dedans tellement je suis trop petit. C'est surement le sentiment qu'on a quand on est Dieu.



J'attends, maintenant, j'attends qu'il se passe quelque chose. Je n'ai jamais essayé d'entrer dans une des usines, mais je sais que ça ne servirait à rien, que je ne peu pas y entrer. Je ne peu entrer qu'au moulin, et c'est même très facile. Il me suit, il est toujours derrière moi, en chien fidèle. A moins que ce soit moi qui me refuse inconsciemment à la quitter ?

J'attends.

Allongé sur l'ondée verdoyante balayée par le gaz, j'attends que le sentiment magistral pousse vers le ciel bleu-adis. Il a déchiré mon ventre et il pousse vers ce faux plafond dans l'espoir de le crever. Vous êtes derrière, avec nos néons agressifs, je le sais. Vous êtes tapis au derrière de cette fine barricade de plâtre illuminée et, ainsi terrés, vous attendez, tremblotant, mon jugement.

Mon sentiment magistral s'enfonce dans vos barrières, le gaz se répand sur Terre-jadis, le contraste se fait.
Vous êtes autant de cadavres de chouette éparpillés en travers des mécanismes de ma meule.

Je suis le cadavre de la vieille.



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