jeudi 9 août 2012

L'autel.

C'était minuit, la fête battait son plein. Je marchais en prenant garde de ne pas trébucher à cause d'une racine noueuse dépassant de terre, chose ardue vu mon accoutrement. Voir à travers les fentes étroites de mon masque blanc, aux seules lumières de la lune, des quelques éclairages de chantiers disposés ça et là par mes soins, plus tôt, et des lampions colorés pendant aux branchages acerbes de ces arbres qui déjà se dévêtissent aux faveurs de l'automnes était pour le moins difficile. Par deux fois je manquais de m'enfoncer dans un buissons m'arrivant à hauteur de genoux, et ma lourde cape de fourrure s'empêtrait dans leur carcan végétal ; par deux fois encore je butais du front contre une basse branche, robuste, qui me déboussolait. Je redressais mon masque et prenait la mesure de mon avancement : derrière moi, loin maintenant, les enceintes crachaient toujours, péniblement, le vieux jazz-rock suranné. Les invités s'amusaient, et me fêtait joyeusement. Tout allait bien, personne encore n'avait remarqué mon départ sans fanfare. Je m'enfonçait plus avant, donc, dans le silence des sous bois et, maintenant, seul un subtil chemin fait de lampions rouges, discrets, me guidait. Elle m'attendait, sûr. Je ne voulais pas qu'elle ait froid. Mea culpa, c'est pour cette raison que j'ai choisis de porter cette cape, alors que le froid ne me gène aucunement. Je n'entends presque plus Roy Brown, et le pianiste se voit remplacé à mes oreilles par le clapotis du ruisseau. Je fais mes pas moins grands, moins rapides, moins lourds. Silencieux. Voilà, j’aperçois le rougeoiement d'incendie de "l'étang aux lucioles".  Mon cœur bat à se rompre. J'ai du mal à croire qu'elle ait acceptée. Elle ne peu qu'avoir compris mon intention et, malgré tout, elle n'a pas refusée mon invitation. Je défait la fibule à mon épaule et retire mon lourd vêtement, le fait tourner entre mes mains, et doucement, m'approche ainsi, la cape tendue devant moi, comme si j'allais la jeter sur un chat qui s'obstine à m'échapper, pour l'enrouler dedans et le ramener à la maison. Mais il n'y a pas vraiment de chat ; et je pose délicatement l'étoffe sur ses épaules nues qui grelottent dans le vent frais d'Octobre. Elle sursaute, très légèrement. Elle n'a plus son masque, je le vois, éclatant, sur une pierre au bord de la fange. "Tu aurais pu enlever ton masque, toi aussi. J'ai vraiment eu peur, c'est malin". Je prend une voix rauque, et tout en défaisant le ruban qui maintient mon visage de céramique "Sans le masque, la scène perd de son effet théâtral. Il faut que tout sois parfait". Elle me tape sur la tête du plat de sa paume. Elle le faisait tout le temps. Elle me taxe d'idiot. Cela aussi, elle le faisait tout le temps. Je m'excuse et prend ses épaules en-capées entre mes mains. Bêtement, je lui demande si ça va. Evidemment que ça va... alors que je m’apprête à lui poser une autre question, elle me devance et y répond "C'est magnifique cet endroit. Bravo, tu m'impressionne". Elle se retourne pour se replacer face à la mare où se reflète la lune jaune. Je la ramène tout contre moi, resserre l'étreinte de ma cape autour de son corps chaud et pose mon menton sur ses cheveux. Tout deux, ainsi, nous contemplons la scène que j'ai dressé pour elle. Pour nous. Les lucioles, au milieu des lanternes, nous offre un ballet aérien qui fend le cœur ; j'entends par là qu'il procure à quiconque de sensé le regardant une division des sentiments. On ne peu face à ce spectacle que ressentir le paradoxe : on est mélancolique, à en pleurer,  vraiment, mais on veux rire aussi, comme un gamin, alors, en pis-aller, on se contente de sourire sincèrement avec des yeux triste, l'un contre l'autre. Pensifs. Je l'embrasse sur la joue. Il me semble que des heures passent ainsi. Le temps s'allonge, s'étire à s'en déchirer. J'aimerais que sa ligne immuable se brise, je voudrais prendre les morceaux de ce temps cruel et lapidaire, les recoller en une rosace labyrinthique que je jetterais dans la vase de l'étang aux lucioles et où nos corps erraient ensemble pour l'éternité. Mais le temps est compté. La magie fragile que j'ai invoquée, elle, elle peu se briser, elle n'est pas le temps. Et si un invité partait à ma rencontre ? Et si il pleuvait ? Et si déjà le jour pointait à travers le cortège d'arbres et les drapaient de leur éminent manteau d'or ? Non, je devais consommer chaque secondes. Je sais que c'est potentiellement la chose la plus stupide à faire, mais je cède aux habitudes et lui mordille l'oreille, alors brusquement, comme de juste, elle se détache de moi mais, à ma grande surprise, ce n'est que pour se retourner et se blottir tout contre mon torse. "J'ai un peu froid". C'est mignon, comme mensonge. Je la sert contre moi et frotte la cape de mes mains, pour réchauffer son dos. C'est l'automne, et la fête des morts approche, mais jamais, Dieu, je ne me suis sentis aussi vivant ; nous bouillonnons. Je ne sais depuis quand mais la brume nous enveloppent. Doucement, nos corps, synchronisés, se déplacent vers les rocher surgissant de l'eau et, au milieu des insectes luminescents, je m'adosse contre lui, et comme une caresse, nous nous laissons glisser jusqu'à nous asseoir dans l'herbe fraîche. L’étau de ses jambes repliées sert mon genoux, tandis que mon bras droit, glissé dessous la cape, supporte son dos à la ligne courbe et sans accroc. Elle a sa petite tête sur mon épaule, et son souffle chatouille ma clavicule. On ne dis plus un mot. Voués au silence depuis notre petite éternité, savons-nous encore parlé ? Dans cet autel à notre relation passée, nous oublions que nous nous sommes séparés. Nous nous aimions encore, après tout. Les lois n'ont pas leur libre-cours ici où mon cœur est maître des lieux. J'aimerais qu'une des grenouilles arrête de chanter et viennent avaler la clef de cet endroit, que nous n'en sortions jamais. Les lucioles nous englobent comme pour nous cacher avec leur éclat. Nous sommes en train de nous embrasser. Il me semble que c'est pour cet instant que j'ai vécu, même si au fond de moi je sais qu'il n'est qu'un point précis de la ligne zélée de cet empereur le temps. Cette nuit, c'est une victoire du cœur dans la guerre de la raison. Ici, c'est une bataille que j'ai gagnée, fantassin pour mon amour, contre les aléas de la vie. Je perdrais la guerre, peut-être, mais en cet instant je m'en fiche. Je vis vraiment. Et puis nous cessons de nous embrasser, progressivement, si lentement que c'est comme si nous sortions de dans une eau si lourde, si pesante. Nous n'avons pas envie mais nous arrêtons. Nous nous comprenons toujours aussi bien, n'est-ce pas ? "Je t'aime". Moi aussi je t'aime, mais c'est bien toi qui a dit que ça ne suffisait pas, non ? Tu commences à comprendre et j'ai envie de pleurer de joie. Je te réponds. "Je t'aime". Une larme perle du coin de mon œil et vient se noyer dans ta chevelure. Je t'aime. Nous regardons les lucioles et tu t'endors. Rêves-tu de moi ? Je crois, oui. Je vais m'assoupir ainsi que toi. Et puis je me réveille. La bruine nous caresse. J'ai rêvé de nous, bien sûr. Mais mon rêve n'est-il pas un peu trop sensé, réel, par rapport à cet endroit ? Il nous faut nous y enlever avant que le fard ne coule devant nos yeux, avant que la démystification ne se fasse, avant que la magie ne tombe. Je te réveille, doucement, t'embrasse, tu te relève, péniblement. Mais tu m'embrasses si fort. Comme si c'était la dernière fois ? Cela me laisse un sentiment double, à l'instar du ballet des lucioles. Ton baiser, ce baiser, il est tout comme les lucioles. Main dans la main, nous revenons sur nos pas. Tu gardes ma cape, mais tu lâches ma main. Nous rassurons les invités, nous nous séparons pour nous mêler à nouveau à eux. Les lampions tremblent, et déjà il nous faut rentrer. La pluie tombe, comme l'ambiance qui flottait, si spéciale. La brume se dissipe mais mon esprit s'enlise dans les instants qui viennent de s'évanouir. Puis tout s'éteint, et tu disparais.

Demain, nous nous aimerons encore.
Et demain nous n'oublierons rien mais pourtant nous douterons encore de tout de tout.
Alors dis moi...
Demain sera-t-il réel toujours ?

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