mardi 11 septembre 2012

Le purgatoire.


Bien intelligent et trop seul, la voilà, encore, la fatale combinaison.


Penché au rebord de ma fenêtre, je regarde les pavés se quadrillant en contrebas. 


Si je lève mon pied gauche, il ne se passe rien. Si je le repose, et lève mon pied droit, je ressent une douleur vive, car ma cheville est blessée. Si je lève les deux pieds en même temps, ainsi que je suis placé, mon centre de gravité bondit en avant et je bascule. Je n'ai alors qu'à lâcher l'étreinte de mes mains autour du barreau en fer forgé afin de ne me laisser aucune chance. Je sombre en avant, la tête la première. En une seconde, après un bruit humide, ma caboche n'est plus qu'une infâme bouillie. Je suis mort, en somme, et mon sang serpente à travers les pavés de pierre grise, entre lesquels la terre assoiffée se gorge de mes fluides. Je suis mort, tout simplement, et je cesse d'exister en tant que "je". C'est simple. Les "autres" n'existent plus pour moi, mais continuent d'exister en autant de "je" qu'ils sont, en considérant l'ensemble (autrui pour le "je moi" moins le "je" individuel qu'ils sont) comme autrui pour le "je" qu'ils sont, chacun. Reste la question du "je moi", devient-il autrui pour eux ? Je suis mort, suis-je encore autrui, pour autrui, justement ? Eschatologie individuelle, etc. ... ?

Je n'ai jamais été doué pour les équations, alors je présente la chose aussi salement que ce qu'ils reste de moi, en bas de chez moi. Chez moi qui n'est plus chez moi du tout, moi n'existant plus, chez moi qui devient chez lui-qui-a-vécu-fut-un-temps. Pour en revenir à moi, moi qui ne suis plus -pas à "je moi", à moi, mettons, Xiǎo Wén- je continue d'exister pour mes anciens autrui ; untel se dire "Xiǎo Wén me manque". Un autre "Xiǎo Wén est mort ?" Il n'en reviendra pas. Pourtant, j'ai levé mes deux pieds, et j'ai laissé l'attraction terrestre faire le reste. On attentera contre elle un procès pour homicide que cela ne me rendra pas la vie, si tenté que la vie soit quelque chose qui se prenne et se donne. Elle n'est surement pas à présent, en fait, ni même un bien, ou une condition, mais simplement un état ? Au final, l'instant d'avant, je suis en vie, je regarde les pavés se quadrillant en contrebas, l'instant d'après, je suis mort, la terre assoiffée se gorge de mes fluides. Ai-je sensiblement changé ? De visage, un peu, oui, avec le trépas je suis devenu très plat. Mais quoi de plus ? Je suis mort, c'est tout ce qui a changé, et ce n'est pas grand chose.

Et la seule certitude qu'on les vivants quant à la mort, c'est qu'ils mourront. Sinon, ils ne seraient pas vivants.

Alors à quoi bon ? Si on a vécu le quart de sa vie, qu'on a connu le malheur comme les océans de larmes, la déception comme l'accomplissement, pourquoi ne pas lever les deux pieds tout de suite plutôt qu'un vilain hasard plus tard ne s'en charge ? Il nous reste trois quarts d'un mouvement de vie pour accomplir de grandes choses, devenir des grands hommes, et exister en tant qu'autrui pour tout les autrui qui ne furent qu'autrui pour nous, et pour encore plus d'autres qui ne seront même pas forcément autrui pour ces derniers ? Traverser les âges ne peu se faire en tant que "je moi". Traverser les âges ne peu se faire. La terre n'a plus soif, le service des encombrants est passé, ou le corbillard ? Xiǎo Wén a eu un bel enterrement, ses anciens autrui ont pleurés, untel a eu un fou rire, il s'est dit que Xiǎo Wén aurait aimé ça, etc. ... ou tout à fait autre chose, untel s'est suicidé en apprenant que Xiǎo Wén était mort -oui, c'est prétentieux- un autre n'a pu réprimer un sourire en coin, et penser "vieille canaille", c'est sans fin. Mais pour Xiǎo Wén "je moi", rien de tout ça n'arrive. Terre, encombrants, rippers, fous rire, canailles... appartiennent au temps "Post Xiǎo Wén". Donc n'appartiennent pas à Xiǎo Wén. Xiǎo Wén est mort, il n'existe plus en tant que "je moi" mais juste en tant qu'autrui -ou ancien autrui, le tout un chacun est libre de ses croyances- pour tout ses anciens autrui.

Nous avons fait le tour de la question. Le temps Xiǎo Wén est court, qu'ils dure soixante-seize années ou juste vingt, surtout en considérant le peu d'emprise qu'il aura sur son temps les premières années de son dit-temps (et sur les dernières s'il décide de pousser son vice, rouler sa bosse, jusqu'à la dernière échéance). Et nous ne parlerons même pas de l'impact qu'il aura sur le temps d'autrui. Il n'existe pas, pour autrui, dans le temps "Pre Xiǎo Wén", et n'existe rapidement plus dans son post temps. Et qu'importe pour lui qu'il réussisse l'exploit de durer force de décennies dans son post temps, car tout fini un jour par disparaître : ainsi que le disait Lao Tseu 'Impossible l'éternité pour les choses des hommes si les phénomènes du ciel et de la terre eux mêmes ne perdurent." Vanité, donc, que de croire pouvoir exister toujours à travers les autres. Le coeur des hommes et leur mémoire commune n'ont pas grande autonomie, un jour, tout deux cessent. Inexorablement

Qui peu dire alors "tu dois vivre !" quand on peu si vite comprendre que c'est absurde. Alors, oui, en pis-allé, nous vivons, car il n'y a rien avant, rien après, assurément, et que l'on sera heureux, que l'on aura tous, disait Warhol, notre quart d'heure de gloire, que cela vaux le coût. Mais quel coût ? On ne paît rien, pas de taxe sur l'existence, la seule sorte de monnaie est ce courant qui nous parcourt, électrique, car nous sommes électriques, atomes, énergies, mouvements, boson de higgs, etc. ...,. Il disparaît lorsque l'on "meurt". 

C'est comme un tour de manège, simplement, on paie en sortant. À la fin. 

Et je m'en fiche d'attraper le pompon.
Ou de descendre après quarante-cinq degrés de rotation sur l'axe parce que je me suis lassé.







Je crois bien qu'il glisse entre mes doigts.
        Il.
C'est le pompon.