mardi 11 septembre 2012

Le purgatoire.


Bien intelligent et trop seul, la voilà, encore, la fatale combinaison.


Penché au rebord de ma fenêtre, je regarde les pavés se quadrillant en contrebas. 


Si je lève mon pied gauche, il ne se passe rien. Si je le repose, et lève mon pied droit, je ressent une douleur vive, car ma cheville est blessée. Si je lève les deux pieds en même temps, ainsi que je suis placé, mon centre de gravité bondit en avant et je bascule. Je n'ai alors qu'à lâcher l'étreinte de mes mains autour du barreau en fer forgé afin de ne me laisser aucune chance. Je sombre en avant, la tête la première. En une seconde, après un bruit humide, ma caboche n'est plus qu'une infâme bouillie. Je suis mort, en somme, et mon sang serpente à travers les pavés de pierre grise, entre lesquels la terre assoiffée se gorge de mes fluides. Je suis mort, tout simplement, et je cesse d'exister en tant que "je". C'est simple. Les "autres" n'existent plus pour moi, mais continuent d'exister en autant de "je" qu'ils sont, en considérant l'ensemble (autrui pour le "je moi" moins le "je" individuel qu'ils sont) comme autrui pour le "je" qu'ils sont, chacun. Reste la question du "je moi", devient-il autrui pour eux ? Je suis mort, suis-je encore autrui, pour autrui, justement ? Eschatologie individuelle, etc. ... ?

Je n'ai jamais été doué pour les équations, alors je présente la chose aussi salement que ce qu'ils reste de moi, en bas de chez moi. Chez moi qui n'est plus chez moi du tout, moi n'existant plus, chez moi qui devient chez lui-qui-a-vécu-fut-un-temps. Pour en revenir à moi, moi qui ne suis plus -pas à "je moi", à moi, mettons, Xiǎo Wén- je continue d'exister pour mes anciens autrui ; untel se dire "Xiǎo Wén me manque". Un autre "Xiǎo Wén est mort ?" Il n'en reviendra pas. Pourtant, j'ai levé mes deux pieds, et j'ai laissé l'attraction terrestre faire le reste. On attentera contre elle un procès pour homicide que cela ne me rendra pas la vie, si tenté que la vie soit quelque chose qui se prenne et se donne. Elle n'est surement pas à présent, en fait, ni même un bien, ou une condition, mais simplement un état ? Au final, l'instant d'avant, je suis en vie, je regarde les pavés se quadrillant en contrebas, l'instant d'après, je suis mort, la terre assoiffée se gorge de mes fluides. Ai-je sensiblement changé ? De visage, un peu, oui, avec le trépas je suis devenu très plat. Mais quoi de plus ? Je suis mort, c'est tout ce qui a changé, et ce n'est pas grand chose.

Et la seule certitude qu'on les vivants quant à la mort, c'est qu'ils mourront. Sinon, ils ne seraient pas vivants.

Alors à quoi bon ? Si on a vécu le quart de sa vie, qu'on a connu le malheur comme les océans de larmes, la déception comme l'accomplissement, pourquoi ne pas lever les deux pieds tout de suite plutôt qu'un vilain hasard plus tard ne s'en charge ? Il nous reste trois quarts d'un mouvement de vie pour accomplir de grandes choses, devenir des grands hommes, et exister en tant qu'autrui pour tout les autrui qui ne furent qu'autrui pour nous, et pour encore plus d'autres qui ne seront même pas forcément autrui pour ces derniers ? Traverser les âges ne peu se faire en tant que "je moi". Traverser les âges ne peu se faire. La terre n'a plus soif, le service des encombrants est passé, ou le corbillard ? Xiǎo Wén a eu un bel enterrement, ses anciens autrui ont pleurés, untel a eu un fou rire, il s'est dit que Xiǎo Wén aurait aimé ça, etc. ... ou tout à fait autre chose, untel s'est suicidé en apprenant que Xiǎo Wén était mort -oui, c'est prétentieux- un autre n'a pu réprimer un sourire en coin, et penser "vieille canaille", c'est sans fin. Mais pour Xiǎo Wén "je moi", rien de tout ça n'arrive. Terre, encombrants, rippers, fous rire, canailles... appartiennent au temps "Post Xiǎo Wén". Donc n'appartiennent pas à Xiǎo Wén. Xiǎo Wén est mort, il n'existe plus en tant que "je moi" mais juste en tant qu'autrui -ou ancien autrui, le tout un chacun est libre de ses croyances- pour tout ses anciens autrui.

Nous avons fait le tour de la question. Le temps Xiǎo Wén est court, qu'ils dure soixante-seize années ou juste vingt, surtout en considérant le peu d'emprise qu'il aura sur son temps les premières années de son dit-temps (et sur les dernières s'il décide de pousser son vice, rouler sa bosse, jusqu'à la dernière échéance). Et nous ne parlerons même pas de l'impact qu'il aura sur le temps d'autrui. Il n'existe pas, pour autrui, dans le temps "Pre Xiǎo Wén", et n'existe rapidement plus dans son post temps. Et qu'importe pour lui qu'il réussisse l'exploit de durer force de décennies dans son post temps, car tout fini un jour par disparaître : ainsi que le disait Lao Tseu 'Impossible l'éternité pour les choses des hommes si les phénomènes du ciel et de la terre eux mêmes ne perdurent." Vanité, donc, que de croire pouvoir exister toujours à travers les autres. Le coeur des hommes et leur mémoire commune n'ont pas grande autonomie, un jour, tout deux cessent. Inexorablement

Qui peu dire alors "tu dois vivre !" quand on peu si vite comprendre que c'est absurde. Alors, oui, en pis-allé, nous vivons, car il n'y a rien avant, rien après, assurément, et que l'on sera heureux, que l'on aura tous, disait Warhol, notre quart d'heure de gloire, que cela vaux le coût. Mais quel coût ? On ne paît rien, pas de taxe sur l'existence, la seule sorte de monnaie est ce courant qui nous parcourt, électrique, car nous sommes électriques, atomes, énergies, mouvements, boson de higgs, etc. ...,. Il disparaît lorsque l'on "meurt". 

C'est comme un tour de manège, simplement, on paie en sortant. À la fin. 

Et je m'en fiche d'attraper le pompon.
Ou de descendre après quarante-cinq degrés de rotation sur l'axe parce que je me suis lassé.







Je crois bien qu'il glisse entre mes doigts.
        Il.
C'est le pompon.

jeudi 16 août 2012

La résurrection.

Pour la toute dernière de toute les fois, je foulais du pied ces ruelles toujours méconnues en la ville de ma jeunesse. Je me perdais, comme à l'époque. Je savais où je voulais aller, mais j'ignorais l'itinéraire précis pour y parvenir. Mais cela faisait partie du jeu. J'avais mes repères : le grand hôpital, ici, à côté, le champs et, là-bas, l'ancien lycée. Près de lui courrait le sentier boisé où nous aimions nous inventer quelques aventures burlesques, mes camarades et moi.

Le naviguais entre les maisons toute similaires du quartier résidentielles, chacune n'étant différente de sa voisine que dans l'abjecte couleur choisie pour la peinture de sa porte et ses volets. Sans trop savoir comment, alors que je pensais être à l'opposé du supermarché, je débouchais sur le terrain-vague attenant à ce dernier. Des caisses s'y empilaient, dans un usage futur obscur, toujours. Rien n'avais changé. D'ici, je savais comment aller à l'ancien lycée, mais je décidais d'abord de passer par le chemin boisé.

À ma grande surprise, sa grille était fermée, cadenassée, mais la clôture tout contre, à deux mètres à peine, laissait un trou béant absorber qui bon lui semblait en son enceinte. Je m'y engouffrais. Les insectes d'été bourdonnaient entre les herbes folles, et les lattes de bois du sentier aménagé craquaient sous les morsures de la pourriture, additionné au poids de mon propre corps les pressant. Mon pas était lourd de mélancolie. Combien d'heures avions nous bien pu passer ici ? Ce lieu avait vieilli, par contre. L'étang était le même, verdâtre, encombré de déchets, mais tout le reste paraissait suranné. Les rameaux des arbres couvrant le "tunnel" avaient pousser, et je devais désormais m'accroupir pour avancer le long de cette allée végétale. Je passais devant le manoir, je m'attendais, comme dans un conte pour enfant, à le voir désormais abandonné mais je fus déçu de constater que, bien au contraire, il grouillait de vie. Les riches propriétaires s'engueulaient lors de ce qui semblait être un déménagement. Je poursuivais mon chemin sans qu'ils ne me porte la moindre attention. Devais-je la fermeture du sentier à ces dits-propriétaires ? Je n'avais pas envie de demander.

J'allais jusqu'au bout du parcours, et tombait sur la grille qui séparait sa sortie du parvis du collège. Fermée. Ah, ça, elle n'était pas bien haute, et j'aurais pu l'escalader, mais deux jardiniers me voyait de l'autre côté et... j'avais grandi. Je faisais maintenant grand cas de ce que deux jardiniers inconnus pourraient penser de moi. Fini les courses après les fantômes et les pitreries aériennes. J'avais grandi.

En faisant demi-tour, je comprenais que je ne serais plus jamais un lycéen. Alors je repasse devant l'école, et la surveillante générale me regarde sans me reconnaître. C'est terminé.

lundi 13 août 2012

Judas.

Les nuages d'ambre fuyaient la nuit, loin, là bas, de l'autre côté du champs. Il faisait nuit, quatre heures du matin, je pense, et pourtant ils étaient là comme au crépuscule ; la lumière des villes alentours, qui ne dormaient jamais, sans doute, les éclairaient par l'en dessous. Basse altitude... pluie ? C'est dommage qu'ils s'en aillent, l'air est lourd, ici, sec, harassant. La pluie aurait été bienvenue. Mais peu importe, finalement. Il y a un bon côté à toute chose. Je profite du temps pour m'asseoir dans la prairie, recroquevillé, et puis je me laisse aller en arrière, déplie mes jambes fatiguées, et me voilà allongé de tout mon long, les herbes qui me chatouillent le nez. Je les écrasent un peu afin d'avoir la paix, et je regarde le ciel  incendié pleurer toujours ses météores. Quand cela cessera-t-il donc ? Voilà deux mois, environs, maintenant. Deux mois que chaque nuit je vois passer tout ces émissaires d'un autre univers, deux mois que la toile de maître-ciel est balayée par ces boules de feu contemporaines. Il parait qu'elles passent très près de nous. Je ne sais pas si c'est possible. Il me semblait bien que non, mais je n'ai pas assez de connaissances en astronomie pour trancher sur la question. Les heures passent et je me perd dans leur nuée. 

Comme souvent je me réveille transis de froid. Endormi, mon corps refroidi et à mon réveil, quelques quarts d'heure après, la nuit ne m'est plus aussi douce, et je remercie le ciel qu'il n'y ait finalement pas eu de pluie. Je recommence à marcher, vers la lune, en croissant rouge, tel le rasoir ensanglanté, ne sachant pas tellement où aller. Il serait si facile de rentrer chez sois, mais à quoi bon avoir erré deux mois, dans ce cas ?

Quand je suis partis, cela me semblait être une bonne idée. Maintenant ? Je n'en sais plus rien. Était-ce une fuite ? N'aurais-je pas pu recoller les morceaux ? Non, ce n'était pas ma faute, ce n'est pas moi qui ait jeter à terre le vase de notre union, je n'étais pas responsable. Et puis, comme ça, tel un oracle qui s'accomplit, le lendemain, le cosmos se déchire et ses pleurs se déversent à travers notre voix lactée. Désespéré comme j'étais, aux abois pour ainsi dire, il ne m'en fallait pas plus. Je  n'ai presque rien pris et je suis parti comme ça, sans prévenir personne, en laissant mon téléphone branché au secteur pour que les tonalités ne cessent jamais de résonner aux oreilles de ceux qui voudraient bien m'appeler.

"Je suis encore 'là' mais je ne suis plus ici."

Je voudrais qu'ils comprennent que je ne leur en veux pas. Je les entends bien mais je ne peu plus leur répondre, voilà tout. En même temps que mon coeur, c'est ma langue qui s'est brisée. Enfant, je chantais tout le temps, parait-il. Hé bien plus j'ai vécu, plus je l'ai fermée. Maintenant, je suis otage du carcan de mon mutisme. Je n'adresse plus la parole qu'à (mon) ombre à l'intérieur de ma tête, et cela suffit bien comme ça.


*
*   *


Les étoiles enflammées se font plus rare nuit après nuit. Alors aller où ? Et pourquoi ? Mon coeur me griffe en dedans et s’accélère, sous l'angoisse, alors je me demande si je ne me serais pas fourvoyé. Voilà trois mois que je marche chaque jour, chaque nuit, que je vole ma nourriture et vie tel un vagabond. Je croyais à mon départ que je n'avais plus rien à perdre, mais c'est aujourd'hui seulement qu'il ne me reste véritablement presque plus rien. Je n'ai plus que ce ciel que je crois qu'il m'appartient, ce ciel d'incendie qui lentement s'éteint. J'ai tout quitté, alors c'est juste qu'il m'abandonne, peut-être.

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J'ai compris cette nuit là ce qu'étaient les larmes qui inondaient les cieux. Mes larmes. Tant de chagrin pour un coeur  trop étroit, alors le Ciel tant prié m'a soulagé ainsi qu'il a pu le faire de mes peines jugées trop lourdes. Mais les larmes qui coulent des yeux d'un homme retournent à lui dans un cycle qu'il est défendu de briser ; le malheur comme le bonheur sont des choses bien terrestres, et si les sentiments des hommes se frayaient un chemin par une faille dans nos cieux, parcouraient espaces et galaxies, atterrissaient si loin du coeur humain, qu'adviendrait-il ? Je suis cet homme, ce traître à son monde, celui qui par sa faiblesse a fait fuir de lui-même tout ce qui faisait de lui un être pensant. Je ne suis plus rien d'autre que l'artisan des deux saisons du ciel qui pleure. Et quand la dernière des étoiles, aura disparu, ensemble hétéroclite de sable et de chagrin, de pierre et de bonheur, de minéraux et de mon coeur, je disparaîtrais aussi.

J'ai trahis. J'ai ouvert une plaie dans l’humanité. J'ai fais en moi l’ataraxie. J'ai chassé mes maux comme mes souvenirs trop douloureusement heureux, je les ais chassés par la faille dans la voûte céleste orangée, bannis au loin au grand jamais, expulsé dans le continuum de part mon caractère poltron.

Je lui ai dit, je l'ai appelée, mais elle ne m'a pas cru.

Tiens, mon amour, c'est pour toi que ces six mois de feux cascadent à travers les nuages nocturnes. C'est mon amour pour toi. C'est ta prudence à mon égard. Ce sont nos souvenirs de joie.

Tout est si loin, maintenant. De notre amour il ne reste que de la poussière d'étoile dans les yeux des enfants. 

Puisse ces illusions ne jamais s'effacer. Puisse-t-ils à jamais savoir aimer vraiment.

J'ai tout gâché et seul le ciel déchiré sait combien j'en suis abattu. Mais j'ai simplement maladroitement aimé. Puisse les âges me pardonner et, quand je m'ôterais la vie, je psalmodierais des prières pour que la faille se referme derrière mon passage de damné sur cette terre, afin que pour toujours il reste quelque chose de nous deux. Afin que le néant n'aspire pas tout, et pour que l'amour se souvienne de nous deux. À jamais. 

samedi 11 août 2012

再見日光之後

Le martyre.

Je bois une dernière gorgée de cet énième café brûlant, mauvais, sucré. Je rentre à la maison. Combien de fois ais-je répété ce rituel ? Qui pourrait le dire ? Je suis seul à chaque fois.

Après avoir fermé à double tour la lourde porte en noyer sombre, je m'engouffre dans la nuit. Les réverbères sombrent eux-aussi dans l'obscurité. Il n'y a pas de petites économies, quitte à livrer une ville aux violeurs passée une certaine heure. Quelle importance ont donc les gens qui sortent à cette heure, pour les gens qui décident de quand les rues doivent ou non être éclairées ?

Dans la neige de Décembre, mes jambes se font pesantes, ma marche est fatigante. Par deux fois -en général, c'est deux fois- je me dois m'asseoir sur un banc reprendre mon souffle. Il s'agit alors de ne pas céder au confort relatif de cette situation : un banc rude mais plat, et propre, des vêtements épais, une fatigue qui hurle que je lui cède son caprice, mon sommeil. Mais s'endormir par ce froid d'airain qui dévore la nuque, ce serait mourir il me semble.

Alors non, je me relève, je continue ma marche. Pourquoi toujours travailler si tard, et surtout pour ce faire m'enfermer dans ce cabinet sordide de la zone industrielle ? Il s'agit du protocole, je me dois de le respecter, c'est aussi stupide que c'est simpliste. Les lois sont les lois, avoir voulu les enfreindre ne m'a toujours causé que bien des peines. Avant, j'étais fougueux et hors-la-loi dans l'âme. Maintenant j'ai ce travail et j'en suis l'esclave volontaire. Mon esprit s'y plie, tant mieux. J'imaginais au début qu'il serait plus difficile de dompter mes caractères mais, non, lorsque l'on a plus rien à perdre, il devient facile de tout abandonner. C'est logique.

Un jour je ferais une mauvaise rencontre, une dernière rencontre, un coup d'un cran d'arrêt, un dernier coup pour arrêter. Les idées noires sont légions lors de cette longue marche nocturne, systématiquement. Elles voguent, entrent en moi, me salissent puis repartent. Je ne leur en veux pas, c'est dans l'ordre des choses, cela aussi. 

Quand j'arriverais chez moi, je mangerais quelque chose, rapidement, je me coucherais, me lèverais à une heure insignifiante, passerais la journée à me morfondre, et puis la nuit tombée je retournerais au bureau. Parce qu'il le faut. Parce que c'est ainsi. Je n'ai plus de but, alors je tourne en orbite, sans point de fuite, livré à un immuable, sempiternel cycle du temps minuscule, réduit au local à la sombre porte, aux marches nocturnes et aux légions d'idées noires. Je suis l'homme qui tourne en boucle maintenant qu'il ne t'a plus. Je suis l'homme qui t'aime.

Je suis la montre cassée.

vendredi 10 août 2012

Le jugement.


Les cheminées crachaient sans vergogne leur mêlasse noirâtre dans le ciel bleu-jadis. Qu'est-ce que je faisais ici ? Je m'y étais réveillé, et il me semble que ce monde où je marchais en respirant à travers mon t-shirt remonté sur mon nez n'était plus tout à fait le même, le mien. Était-ce bien possible de s'endormir au bord d'un lac, la nuit des étoiles filantes, et de se réveiller dans le monde où j'étais ? Cela était impossible, mais la sensation de réelle me prenait à la gorge à l'instar du monoxyde de carbone dont l'air n'était que trop chargé.

Ce n'est qu'au bout d'un temps -une éternité- à marche sous l'égide magistrale des grandes usines que j'arrivais au moulin. Le fameux moulin. Il n'y avait dedans qu'un cadavre de vieille, au rez-de-chaussée, ainsi qu'un vieux coffre rouillé impossible à ouvrir et, à l'étage, parmi les mécanismes inanimés de la meule, un cadavre de chouette. Immaculé. J'y passais beaucoup de temps. Je ne peu dire des jours, car après tout, la nuit n'est encore jamais venue ici. Il me semble bien que j'ai marché dix ans, dont un fois trois ans à marcher tout droit dans la direction d'un nuage particulier, mais ce n'est jamais que des usines aux formes, tailles, et à l'éloignement similaire sous lesquelles je marche. Et puis au bout d'un temps, parfois très long (parfois trois ans, oui), je décide de retourner au moulin et, là, en un rien de temps, je le vois se dresser à l'horizon et se rapprocher à grand pas. Comme si pendant un temps long, très long, parfois trois ans, j'avais marché sur un tapis roulant gigantesque, sans ombre, verdoyant, chargé de monoxyde de carbone. Mais je ne ressent aucune fatigue, aucune lassitude, c'est l'ataraxie complète. Il n'y a pas d'ombre, ici, vous savez ? Tout est comme dans un jeu vidéo aux textures estompées, un peu comme les nouveaux dessins animés d'animation qui passait sur les chaînes tout public, le matin, dans le monde d'autrefois.

Car, oui, je peu parler d'autrefois. 


Votre monde a vous est mort, je crois, depuis longtemps, car cela pourrait bien faire des siècles que je suis ici, des millénaires, et plus encore. Il n'y a pas de Soleil de Damoclès pour me rappeler que le temps passe, m'est compté, et que rien n'est éternel, non, il fait toujours "jour" -j'emploie ce mot car on y voit comme au jour de votre Terre- mais il n'y a pas de boule de feu géante pour m'éclairer ; le ciel bleu-jadis est comme un très haut faux-plafond de plâtre fin, tout derrière lequel de puissants néons transpirent leur lumière uniforme. Ce n'est pas pour autant morne ou blafard, ici, non, car l'air pollué créé parfois des volutes sombres et a de toute façon tiré un manteau de gaz entre le ciel-faux-plafond-bleu-jadis et moi, un manteau de gaz qui contraste tout, comme un filtre. Il faut bien comprend, qu'ici, il peu y avoir du contraste sans ombres. L'herbe verdoyante ondule sous le gaz et se teinte d'apparats plus sombre, ici et là. C'est merveilleux. Les usines blanches, immaculées comme le cadavre de la chouette, à l'étage du moulin, dissimulé parmi les grands mécanismes de la meule qui ne tournent plus, sont autant de tâches sur un Jackson Pollock, car il n'y a que cela, des usines, et il y en a des milliards. Pour peu que le faux-plafond soit transparent pour de bon, ou que, véritablement, il soit extrêmement haut (mais j'en doute, si c'était le cas, les néons derrière devraient être vraiment très puissants), on pourrait du "ciel" voir le fond vert contrasté sous le gaz constellé de tâches magistrales immaculées comme des cadavres de chouettes emprisonnés dans les mécanismes inanimés de la meule du moulin abandonné.


Je crois que je commence à ressentir quelque chose.

Ce n'est pas un sentiment terrestre, je n'en ressent plus depuis jadis, j'ai même cessé totalement de conversé avec le cadavre de la vieille comme j'en avais l'habitude les quatre cent premières années, non, maintenant, je suis autre chose qu'un être humain. J'ai compris trop de chose pour être considéré comme tel, j'ai trop réfléchis et je n'ai plus vécu depuis trop longtemps, car ce n'est pas vivre que de marcher mille ans au travers du paysage gazé, constellé d'usines, puis de rentrer en un rien de temps au moulin abandonné, non, ce n'est pas vivre. Mais je ressent autre chose, c'est un sentiment comme les usines, magistral, un sentiment qui pousse en moi et transperce le bout de mes doigts tellement il est à l'étroit en ce corps suranné, qui m'explose d'en dedans tellement je suis trop petit. C'est surement le sentiment qu'on a quand on est Dieu.



J'attends, maintenant, j'attends qu'il se passe quelque chose. Je n'ai jamais essayé d'entrer dans une des usines, mais je sais que ça ne servirait à rien, que je ne peu pas y entrer. Je ne peu entrer qu'au moulin, et c'est même très facile. Il me suit, il est toujours derrière moi, en chien fidèle. A moins que ce soit moi qui me refuse inconsciemment à la quitter ?

J'attends.

Allongé sur l'ondée verdoyante balayée par le gaz, j'attends que le sentiment magistral pousse vers le ciel bleu-adis. Il a déchiré mon ventre et il pousse vers ce faux plafond dans l'espoir de le crever. Vous êtes derrière, avec nos néons agressifs, je le sais. Vous êtes tapis au derrière de cette fine barricade de plâtre illuminée et, ainsi terrés, vous attendez, tremblotant, mon jugement.

Mon sentiment magistral s'enfonce dans vos barrières, le gaz se répand sur Terre-jadis, le contraste se fait.
Vous êtes autant de cadavres de chouette éparpillés en travers des mécanismes de ma meule.

Je suis le cadavre de la vieille.



jeudi 9 août 2012

L'autel.

C'était minuit, la fête battait son plein. Je marchais en prenant garde de ne pas trébucher à cause d'une racine noueuse dépassant de terre, chose ardue vu mon accoutrement. Voir à travers les fentes étroites de mon masque blanc, aux seules lumières de la lune, des quelques éclairages de chantiers disposés ça et là par mes soins, plus tôt, et des lampions colorés pendant aux branchages acerbes de ces arbres qui déjà se dévêtissent aux faveurs de l'automnes était pour le moins difficile. Par deux fois je manquais de m'enfoncer dans un buissons m'arrivant à hauteur de genoux, et ma lourde cape de fourrure s'empêtrait dans leur carcan végétal ; par deux fois encore je butais du front contre une basse branche, robuste, qui me déboussolait. Je redressais mon masque et prenait la mesure de mon avancement : derrière moi, loin maintenant, les enceintes crachaient toujours, péniblement, le vieux jazz-rock suranné. Les invités s'amusaient, et me fêtait joyeusement. Tout allait bien, personne encore n'avait remarqué mon départ sans fanfare. Je m'enfonçait plus avant, donc, dans le silence des sous bois et, maintenant, seul un subtil chemin fait de lampions rouges, discrets, me guidait. Elle m'attendait, sûr. Je ne voulais pas qu'elle ait froid. Mea culpa, c'est pour cette raison que j'ai choisis de porter cette cape, alors que le froid ne me gène aucunement. Je n'entends presque plus Roy Brown, et le pianiste se voit remplacé à mes oreilles par le clapotis du ruisseau. Je fais mes pas moins grands, moins rapides, moins lourds. Silencieux. Voilà, j’aperçois le rougeoiement d'incendie de "l'étang aux lucioles".  Mon cœur bat à se rompre. J'ai du mal à croire qu'elle ait acceptée. Elle ne peu qu'avoir compris mon intention et, malgré tout, elle n'a pas refusée mon invitation. Je défait la fibule à mon épaule et retire mon lourd vêtement, le fait tourner entre mes mains, et doucement, m'approche ainsi, la cape tendue devant moi, comme si j'allais la jeter sur un chat qui s'obstine à m'échapper, pour l'enrouler dedans et le ramener à la maison. Mais il n'y a pas vraiment de chat ; et je pose délicatement l'étoffe sur ses épaules nues qui grelottent dans le vent frais d'Octobre. Elle sursaute, très légèrement. Elle n'a plus son masque, je le vois, éclatant, sur une pierre au bord de la fange. "Tu aurais pu enlever ton masque, toi aussi. J'ai vraiment eu peur, c'est malin". Je prend une voix rauque, et tout en défaisant le ruban qui maintient mon visage de céramique "Sans le masque, la scène perd de son effet théâtral. Il faut que tout sois parfait". Elle me tape sur la tête du plat de sa paume. Elle le faisait tout le temps. Elle me taxe d'idiot. Cela aussi, elle le faisait tout le temps. Je m'excuse et prend ses épaules en-capées entre mes mains. Bêtement, je lui demande si ça va. Evidemment que ça va... alors que je m’apprête à lui poser une autre question, elle me devance et y répond "C'est magnifique cet endroit. Bravo, tu m'impressionne". Elle se retourne pour se replacer face à la mare où se reflète la lune jaune. Je la ramène tout contre moi, resserre l'étreinte de ma cape autour de son corps chaud et pose mon menton sur ses cheveux. Tout deux, ainsi, nous contemplons la scène que j'ai dressé pour elle. Pour nous. Les lucioles, au milieu des lanternes, nous offre un ballet aérien qui fend le cœur ; j'entends par là qu'il procure à quiconque de sensé le regardant une division des sentiments. On ne peu face à ce spectacle que ressentir le paradoxe : on est mélancolique, à en pleurer,  vraiment, mais on veux rire aussi, comme un gamin, alors, en pis-aller, on se contente de sourire sincèrement avec des yeux triste, l'un contre l'autre. Pensifs. Je l'embrasse sur la joue. Il me semble que des heures passent ainsi. Le temps s'allonge, s'étire à s'en déchirer. J'aimerais que sa ligne immuable se brise, je voudrais prendre les morceaux de ce temps cruel et lapidaire, les recoller en une rosace labyrinthique que je jetterais dans la vase de l'étang aux lucioles et où nos corps erraient ensemble pour l'éternité. Mais le temps est compté. La magie fragile que j'ai invoquée, elle, elle peu se briser, elle n'est pas le temps. Et si un invité partait à ma rencontre ? Et si il pleuvait ? Et si déjà le jour pointait à travers le cortège d'arbres et les drapaient de leur éminent manteau d'or ? Non, je devais consommer chaque secondes. Je sais que c'est potentiellement la chose la plus stupide à faire, mais je cède aux habitudes et lui mordille l'oreille, alors brusquement, comme de juste, elle se détache de moi mais, à ma grande surprise, ce n'est que pour se retourner et se blottir tout contre mon torse. "J'ai un peu froid". C'est mignon, comme mensonge. Je la sert contre moi et frotte la cape de mes mains, pour réchauffer son dos. C'est l'automne, et la fête des morts approche, mais jamais, Dieu, je ne me suis sentis aussi vivant ; nous bouillonnons. Je ne sais depuis quand mais la brume nous enveloppent. Doucement, nos corps, synchronisés, se déplacent vers les rocher surgissant de l'eau et, au milieu des insectes luminescents, je m'adosse contre lui, et comme une caresse, nous nous laissons glisser jusqu'à nous asseoir dans l'herbe fraîche. L’étau de ses jambes repliées sert mon genoux, tandis que mon bras droit, glissé dessous la cape, supporte son dos à la ligne courbe et sans accroc. Elle a sa petite tête sur mon épaule, et son souffle chatouille ma clavicule. On ne dis plus un mot. Voués au silence depuis notre petite éternité, savons-nous encore parlé ? Dans cet autel à notre relation passée, nous oublions que nous nous sommes séparés. Nous nous aimions encore, après tout. Les lois n'ont pas leur libre-cours ici où mon cœur est maître des lieux. J'aimerais qu'une des grenouilles arrête de chanter et viennent avaler la clef de cet endroit, que nous n'en sortions jamais. Les lucioles nous englobent comme pour nous cacher avec leur éclat. Nous sommes en train de nous embrasser. Il me semble que c'est pour cet instant que j'ai vécu, même si au fond de moi je sais qu'il n'est qu'un point précis de la ligne zélée de cet empereur le temps. Cette nuit, c'est une victoire du cœur dans la guerre de la raison. Ici, c'est une bataille que j'ai gagnée, fantassin pour mon amour, contre les aléas de la vie. Je perdrais la guerre, peut-être, mais en cet instant je m'en fiche. Je vis vraiment. Et puis nous cessons de nous embrasser, progressivement, si lentement que c'est comme si nous sortions de dans une eau si lourde, si pesante. Nous n'avons pas envie mais nous arrêtons. Nous nous comprenons toujours aussi bien, n'est-ce pas ? "Je t'aime". Moi aussi je t'aime, mais c'est bien toi qui a dit que ça ne suffisait pas, non ? Tu commences à comprendre et j'ai envie de pleurer de joie. Je te réponds. "Je t'aime". Une larme perle du coin de mon œil et vient se noyer dans ta chevelure. Je t'aime. Nous regardons les lucioles et tu t'endors. Rêves-tu de moi ? Je crois, oui. Je vais m'assoupir ainsi que toi. Et puis je me réveille. La bruine nous caresse. J'ai rêvé de nous, bien sûr. Mais mon rêve n'est-il pas un peu trop sensé, réel, par rapport à cet endroit ? Il nous faut nous y enlever avant que le fard ne coule devant nos yeux, avant que la démystification ne se fasse, avant que la magie ne tombe. Je te réveille, doucement, t'embrasse, tu te relève, péniblement. Mais tu m'embrasses si fort. Comme si c'était la dernière fois ? Cela me laisse un sentiment double, à l'instar du ballet des lucioles. Ton baiser, ce baiser, il est tout comme les lucioles. Main dans la main, nous revenons sur nos pas. Tu gardes ma cape, mais tu lâches ma main. Nous rassurons les invités, nous nous séparons pour nous mêler à nouveau à eux. Les lampions tremblent, et déjà il nous faut rentrer. La pluie tombe, comme l'ambiance qui flottait, si spéciale. La brume se dissipe mais mon esprit s'enlise dans les instants qui viennent de s'évanouir. Puis tout s'éteint, et tu disparais.

Demain, nous nous aimerons encore.
Et demain nous n'oublierons rien mais pourtant nous douterons encore de tout de tout.
Alors dis moi...
Demain sera-t-il réel toujours ?




























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